Décès de notre compagnon Lucien GIACOMONI
Hommage à notre compagnon
Lucien GIACOMONI
Discours de Mme Christiane DUCROUX, présidente ANM-ONM* 04
prononcé lors des obsèques le mardi 17 septembre 2024 à Entrevaux.
*Association Nationale des Membres de l'Ordre National du Mérite
La section des Alpes-de-Haute-Provence de l’Ordre National du Mérite, ainsi que le Grand Prix Humanitaire de France, sont endeuillés par le départ du Docteur Lucien Giacomoni.
Comment lui rendre, ce jour, un hommage qui soit digne de ce qu’il fut ? Grande est la difficulté ! Un autre défi, tout aussi important, c’est de rendre pleinement justice à tant de dons, de talents divers et d'engagements longs. Médecin, chercheur mais aussi philosophe, le Docteur Giacomoni était tout cela à la fois.
Notre hommage s’attachera donc à évoquer autant la personne que ses engagements.
Médecin de montagne, médecin commandant du centre de secours principal des Sapeurs-pompiers, son altruisme l’a conduit à s’installer à Entrevaux, dans une montagne quelque peu hostile.
Médecin de montagne : un sacerdoce. Dans les années 1960-1980, la montagne est hostile : des chemins enneigés qu’il faut gravir à pied, par tous les temps, de jour comme de nuit, en toutes saisons, la plupart du temps seul, sans téléphone ni radio, chargé de matériel pour accouchement, petite chirurgie et médicaments de première urgence, en général 15 kg.
En montagne, le Docteur Giacomoni exerçait de nombreuses compétences : il était gynécologue, obstétricien, cardiologue, chirurgien... Il arrivait souvent que le docteur sollicite son épouse Colette, infirmière, pour l’accompagner dans des cas compliqués.
Pour se rendre chez les patients, les dangers étaient multiples. Il n’était pas rare, en pleine nuit, de croiser dans le halo de la lampe frontale loups, sangliers ou chiens errants. Le danger c’était aussi de rouler en dérapant sur des pistes à peine carrossables ou de rares routes vertigineuses et verglacées, longtemps enneigées, très rarement dégagées, pour vivre des nuits d’angoisse et de lutte pour des accouchements difficiles, des nouveau-nés à réanimer, des malades gravement atteints que l’on ne pouvait évacuer, l’hôpital le plus proche étant à 75 km. Une nuit, il a fallu administrer une injection de tonicardiaque au Docteur Giacomoni. Une fois le malaise passé, il a repris sa place au chevet d’une parturiente vivant un accouchement long et difficile. Et le lendemain, il fallait repartir dans cette montagne, qui cachait bien des drames et des souffrances, pour vivre des moments d’angoisse et de solitude terribles, comme lorsqu’il fallait se battre dans une ferme isolée contre la mort d’un patient. La liste est longue de ces moments douloureux, susceptibles de provoquer découragement et renoncement.
Le docteur fut aussi sapeur-pompier. Médecin commandant du Centre de Secours. La vie du sapeur-pompier de montagne était tout aussi difficile et mouvementée : des accidents personnels sur des routes enneigées, des malades qu’il fallait porter dans les bras jusqu’à la voiture pour les évacuer, descendre des ravins en pleine nuit sans visibilité pour secourir des blessés de la route, ou maîtriser un forcené tirant en sa direction dans une ferme isolée… La liste de ses actions de dévouement pour autrui est longue.
Il y a aussi tout ce qu’il a pu faire dans la ville d’Entrevaux, où il exerçait son sacerdoce. Au-delà de toute l’activité d’un médecin généraliste, le Docteur Giacomoni s’adonnait à une activité chronophage : la réorganisation du secours routier dans le département avec le Docteur Bouvier et M. Gilbert Laurent.
Un film réalisé en 1991 par TF1 ne rend pas suffisamment compte des difficultés rencontrées en permanence par un médecin de montagne à cette époque. Le Docteur Giacomoni s’inscrivait dans cette tradition française de la médecine humaniste et des grands chercheurs, comme le montrent ses recherches en ethnomycologie.
M. Giacomoni se passionnait pour des sujets relevant de la nature et de la santé des hommes, telle l’étude des champignons. Ses travaux en ethnomycologie font autorité dans le monde. Ce que peu de gens savent, c’est la découverte exceptionnelle qu’il a faite là où nombre de chercheurs avaient échoué. Il a identifié l’agent pathogène responsable du décès d’égyptologues morts lors de l’ouverture de la tombe de Toutankhamon, la « fameuse malédiction des Pharaons ». Il s’agissait de champignons présents sur les parois de la tombe, entraînant une pneumonie intrinsèque sans traitement possible à l’époque. La presse et le monde scientifique en ont beaucoup parlé.
Le Docteur Giacomoni deviendra le président fondateur de l’Association entrevalaise de mycologie et de botanique appliquée, affiliée à la Confédération européenne, et président fondateur des Journées mycologiques internationales d’Entrevaux tenues pendant 30 ans.
Le docteur a effectué plusieurs séjours en Méso-Amérique pour l’étude des champignons hallucinogènes et écrit plusieurs ouvrages dans ce domaine.
Mais ses centres d’intérêt ne s’arrêtaient pas là. Il a également écrit un ouvrage sur la peinture flamande et hollandaise. Et ses adhésions à de nombreuses associations culturelles départementales et locales témoignent de son engagement.
Il y aurait encore tant à dire sur cet homme exceptionnel.
Science et conscience, c’est cette réunion qui l’a imposé comme un sage, l’expert que l’on consulte, l’arbitre dont on sollicite le jugement, car on lui reconnaît compétence et probité intellectuelle, y compris sur des sujets étrangers à sa spécialité.
Le docteur Giacomoni aurait pu devenir un chercheur ou un spécialiste émérite. Il aurait pu occuper une place singulière dans le monde de la recherche. Il a préféré rester fidèle à ses valeurs, en devenant et en restant le médecin de famille d’Entrevaux, le médecin de la montagne, à l’écoute et proche de ses patients dans une estime et une fidélité réciproques.
À vous, Madame Giacomoni, à vos enfants, à vos petites-filles, les membres de la section 04 de l’Ordre National du Mérite, ainsi que les membres du Grand Prix Humanitaire de France, présentent leurs plus sincères condoléances. J’y ajoute, avec grande émotion, mes condoléances personnelles.
Christiane DUCROUX
Présidente de la section ANMONM 04
Vice-présidente du Grand Prix Humanitaire de France
Article publié le 11 octobre 2024